Un salaud honorable

La malédiction des filles Martin

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Il est 15h, cette journée d’hiver est interminable, et pour couronner le tout, le prof de gym est absent. Mes camarades de classe et moi nous rendons en salle d’étude pour attendre l’heure de la sortie qui semble ne jamais arriver. Il fait gris, et on a l’impression que la nuit va déjà recouvrir la cour de l’établissement que je devine derrière les vitres.
C’est alors que le cahier de classe circule, et je ne sais plus qui commence, mais un vent de rébellion souffle dans la salle. Chaque élève se met à raturer, insulter, dessiner, bref, à massacrer le cahier de classe que les professeurs s’efforcent de remplir avec les leçons vues et les devoirs à faire à la maison. Mon tour arrive, et je ne suis pas le dernier à prendre un beau feutre. Je feuillette les pages, rigolant bêtement des âneries écrites par mes camarades. Je me demande ce que je vais écrire. Je commence par mettre un mot d’amour à ma prof de français que je déteste : salope ! que j’écris avec une faute d’orthographe. Cela aura son importance par la suite. Puis je tourne une nouvelle page et tombe sur celle de notre prof de technologie qui prenait grand soin d’écrire tous les titres avec une majuscule en lettres gothiques. Un vrai chef-d’œuvre de calligraphie dont il était très fier, et que le vénérable Adalme d’Otrante n’aurait pas renié. Je décide que le pire à faire est de rayer les lettres gothiques d’un coup de feutre noir magistral.
La journée se termine tranquillement et je rentre enfin chez moi, non sans avoir attendu ma mère une heure ou deux devant l’école.
Le lendemain s’annonce radieux, mais un événement vient perturber la quiétude de la classe. Le massacre du cahier de classe a été découvert, et le proviseur se tient là, debout devant nous, expliquant que puisque personne ne veut se dénoncer, une page d’écriture sera faite par tous les élèves, avec un certain nombre de mots tirés de notre prose collective. Bien sûr, figurait le fameux salope qu’il nous dicte, et là, ça ne manque pas : je refais la même faute d’orthographe. (2 P ou deux L ne ne sais plus) Me voilà convoqué dans le bureau, face à l’inspecteur Maigret, ou plutôt le proviseur, qui me dit que le coupable, c’est moi, en raison de cette faute et de la façon décorative et toute personnelle que j’ai de former les lettres. Bref, je suis démasqué et cuit. Il m’annonce, avec un certain vice, que mes parents vont recevoir un coup de téléphone le soir même et qu’ils seront convoqués. Il rajoute : « Je vous laisse y penser toute la journée. »
Je rentre à la maison, et bien sûr, je débranche immédiatement la prise du téléphone. Ouf, je suis sauvé du moins pour un temps. Mais hélas, ma mère, qui attendait un coup de fil de la plus haute importance (sans doute celui d’un amant), découvre le pot aux roses et pousse des hurlements hystériques en demandant qui a commis ce forfait.
Certainement pas moi.
Elle rebranche le téléphone, et cinq minutes plus tard, il sonne. C’est l’inspecteur Maigret… pardon, le proviseur. Mais monsieur veut ménager le suspense ; il dit simplement qu’il veut les voir le lendemain pour une affaire de la plus haute importance et que le rendez-vous est fixé à 16h30. Ma mère panique car cela bouleverse ses plans pour la journée, notamment ses rendez-vous de fin d’après-midi. L’affaire est vite arrangée, car mon père se propose d’y aller. Non sans m’avoir passé à la question, où je ne dis rien, prétendant n’être au courant de rien, la soirée se passe sans encombre. Mais après la nuit vient le matin, et je ne sais pas pourquoi, mais ce matin-là, j’ai une boule au ventre.
La fin d’après-midi arrive, et je me retrouve dans le bureau du proviseur avec mon père, arrivé quelques minutes auparavant. Le proviseur explique rapidement la situation et précise qu’en plus d’avoir découvert le coupable grâce à une faute d’orthographe, l’ensemble de la classe m’a dénoncé comme le seul responsable. Mon père essaie timidement de me défendre, ce qui me surprend, et je sors du bureau avec une exclusion d’une semaine de l’établissement, ce qui ne me choque guère, n’y allant déjà pas très souvent. Je monte dans la voiture, et mon père me dit froidement :
« Quand on arrive à la maison, tu vas recevoir une dérouillée comme tu n’en as jamais eu et dont tu te souviendras toute ta vie. »
Quel visionnaire ! En effet, c’est plutôt bien vu, je m’en souviens encore !
Dire que la route a été un calvaire, un véritable chemin de croix, est un euphémisme. Nous arrivons à la maison, mon père rentre la voiture dans le garage, et je descends rapidement de la voiture, espérant qu’il ne mettrait pas sa menace à exécution.
Mais il me rattrape, et c’est un déchaînement de coups qui me fait vaciller par terre, se terminant par des coups de pied dans le dos. Je passe ensuite une semaine aussi divertissante que des vacances, et je retourne à l’école pour un premier cours avec le professeur de technologie, qui n’est pas informé de ce qu’il s’est passé, mais cela, je l’apprendrai plus tard. Il tourne les pages du cahier pour arriver à la sienne et à ses fameuses enluminures gothiques. Je frémis. Il s’arrête, pose doucement ses lunettes sur son bureau, puis se lève avec la lenteur de celui qui s’apprête à dire quelque chose de définitif, qui marquera son auditoire.
« Qui a fait cette infamie ? tonne-t-il. Qu’il ait le courage de se dénoncer ! »
Là, je me dis qu’il sait très bien de qui il s’agit puisque pour l’école, je suis le seul coupable. Je me lève et lance : « C’est moi, monsieur. »
Il lève les yeux dans ma direction, l’air ahuri.
« Monsieur, vous êtes un salaud, mais votre courage de vous dénoncer vous honore. »
Puis il ajoute : « À la vue des différentes écritures qui ont souillé ce cahier, je pense que vous n’étiez pas seul. Alors les autres, vous êtes des lâches ! »
Je sors comme un empereur, drapé dans ma toge, auréolé d’une qualité que je ne me connaissais pas d’après lui : le courage… Eh bien !

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Frank Berty
Instagram : @frankbertyoff
It’s 3 p.m. on a dreary winter day that feels never-ending, and to make matters worse, our gym teacher is absent. My classmates and I head to the study hall to wait for the end of the school day, which seems like it will never come. The sky is gray, and it feels like night is already descending upon the schoolyard, which I can barely make out through the windows.
That’s when the class notebook starts making the rounds. I can’t remember who started it, but a wave of rebellion sweeps through the room. Each student takes turns scribbling, insulting, drawing—basically trashing the notebook where our teachers painstakingly record the lessons covered and the homework assigned. My turn comes, and I’m not about to miss out. I grab a thick marker, flipping through the pages and laughing stupidly at the nonsense written by my classmates. I wonder what I should add. I start by leaving a love note for my French teacher, who I loathe: « bitch! » I write, complete with a spelling error. This detail will be important later. Then I turn to another page, landing on one where our technology teacher had meticulously written the titles in Gothic script. A true masterpiece of calligraphy that even the venerable Adalme d’Otrante would have admired. I decide the most irreverent thing I can do is deface those Gothic letters with a broad stroke of black marker.
The day ends peacefully, and I finally head home, though not without waiting an hour or two for my mother outside the school.
The next day starts off sunny, but our peaceful class is soon disrupted. The vandalized class notebook has been discovered, and the principal stands before us, declaring that since no one wants to own up, every student will have to write a page of dictation using some of the words found in our collective handiwork. Of course, one of the words included is the infamous « bitch, » which he dictates to us. And wouldn’t you know it? I make the exact same spelling mistake. (Was it two P’s or two L’s? I can’t remember.) Before I know it, I’m summoned to the office, standing face-to-face with Inspector Maigret—or rather, the principal—who tells me the culprit is obvious, thanks to my unique spelling error and the distinctive, decorative way I shape my letters. In short, I’ve been caught red-handed. He announces, with a hint of satisfaction, that my parents will be receiving a phone call that evening and will be asked to come in. He adds, “I’ll leave you to think about that all day.”
I get home and, of course, immediately unplug the phone. Phew, saved for now. But unfortunately, my mother, who was expecting a very important call (probably from a lover), realizes something is amiss and screams hysterically, demanding to know who’s responsible for this.
Certainly not me.
She plugs the phone back in, and within five minutes, it rings. It’s Inspector Maigret… I mean, the principal. But he wants to keep the suspense going; he simply says he wants to meet with them the next day about a very serious matter, setting the appointment for 4:30 p.m. My mother panics, as this disrupts her afternoon plans. The issue is quickly resolved when my father offers to go. Not before grilling me first, though. I say nothing, claiming I don’t know a thing, and the evening passes without incident. But come morning, I wake up with a knot in my stomach.
Afternoon arrives, and I find myself in the principal’s office with my father, who had shown up a few minutes earlier. The principal quickly explains the situation and adds that, beyond identifying the culprit from a spelling mistake, the entire class had pointed me out as the sole offender. My father attempts a feeble defense, which surprises me, but I leave the office with a one-week suspension. It doesn’t shock me much, as I rarely attend school anyway. We get into the car, and my father says coldly:
“When we get home, you’re going to get the beating of your life, one you’ll remember forever.”
What a visionary! He was right; I still remember it vividly!
To say the car ride was a nightmare, a true walk of shame, is an understatement. We arrive home, my father pulls into the garage, and I quickly get out of the car, hoping he won’t follow through on his threat.
But he catches up to me, and it’s a storm of blows that knocks me to the ground, ending with kicks to my back. I spend the next week as if on vacation, and when I return to school, my first class is with the technology teacher, who has no idea what happened—or so I’ll later learn. He flips through the notebook, reaching the page with his famous Gothic script. I shudder. He stops, gently sets his glasses on the desk, then rises with the slow deliberation of someone about to deliver a monumental statement.
“Who did this disgraceful act?” he thunders. “Let them have the courage to own up!”
At this point, I figure he already knows it’s me, since the school has pinned the entire blame on me. I stand up and say, “It was me, sir.”
He looks up at me, bewildered.
“Sir, you are a scoundrel, but your courage in confessing is commendable.”
Then he adds, “Given the variety of handwriting that defiled this notebook, I believe you weren’t acting alone. The rest of you are cowards!”
I walk out like an emperor, draped in my imaginary toga, basking in a quality I never knew I possessed according to him: courage… Well, well!

 

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Frank Berty 2024 - 2025