shabbat shalom

La malédiction des filles Martin

Pour lire le début de l’histoire : cliquez-ici

En 1978, nous avions déménagé dans une maison individuelle à Saint-Priest. C’est une nouvelle période qui s’ouvre pour la famille, et je fais la connaissance de nos voisins, dont le fils Ilan  a le même âge que moi. Ilan est juif, et je le mentionne car cela aura une importance capitale pour la suite de l’histoire. Chaque année, il part dans un kibboutz en Israël et revient avec des histoires de vacances qui me fascinent.
Nous passons des heures à refaire le monde. Nous sortons en ville pour parcourir les rues de Lyon en skate, découvrons les cigarettes, et parlons de notre avenir, que nous imaginons radieux. Notre amitié devient de plus en plus forte au fil des mois, et il s’est mis en tête de me convertir au judaïsme. Pour cela, il m’offre même une version traduite en français de la Torah.
Je l’écoute parler pendant des heures de son kibboutz, et il me décrit cet endroit comme une sorte de club de vacances où tout est mis en commun et tout est gratuit. Il me dit par exemple : « Si tu veux une télé, tu demandes une télé, et on te la donne. » Le principe de la télé me plaît beaucoup, m’imaginant en avoir une sur simple demande dans ma chambre.
Bref, je commence à rêver d’une vie meilleure sous le soleil de Tel Aviv et je garde cela dans un coin de ma tête.
Étant tous deux en rébellion contre nos parents, nous cherchons à nous libérer de leur emprise et adorons braver tous les interdits que nous pouvons enfreindre. Un soir d’été, nous décidons de partir faire la fête à Lyon. Nous attendons tranquillement que nos parents soient endormis et passons par les fenêtres de nos chambres pour nous retrouver en pleine nuit dans la campagne san-priote.
Direction le bus qui mène à Lyon.
S’ensuit une marche dans la campagne pour rejoindre l’arrêt de bus. Plus qu’une simple marche nocturne, c’est une véritable randonnée initiatique qui nous fait prendre conscience que nous sommes devenus, ou du moins nous le croyons, indépendants. Un vent de liberté souffle dans nos longs cheveux et nous arrivons à l’arrêt de bus. Celui-ci a terminé son service, mais le chauffeur nous lance :
— Où allez-vous à cette heure-là ?
— On va en ville, monsieur.
— Bon, montez.
Je me demande ce qui a bien pu passer par la tête de ce chauffeur de bus pour emmener deux jeunes de 14 ans en pleine nuit dans le centre de Lyon. Arrivés avenue Berthelot dans le 7e arrondissement de Lyon, le chauffeur nous explique qu’il ne peut pas nous emmener plus loin, car il rentre au dépôt. Cela nous va très bien. On descend et nous entreprenons de regagner la gare de Perrache pour aller traîner à la recherche d’une fête rue de la République.
Mais il est 2 heures du matin, les rues sont désertes, et on commence sérieusement à flipper. Soudain, alors que nous traversons le pont qui relie le 7e arrondissement à la gare de Perrache, deux hommes marchent sur le trottoir d’en face. Ils nous observent et, d’un coup, traversent dans notre direction.
Mon ami me dit : « Ça y est, on est morts, on va se faire agresser. »
Les deux hommes traversent, arrivent à notre hauteur, et alors que je pense que ma dernière heure est arrivée, passent tranquillement à côté de nous. Ce coup de stress monumental nous incite à vite rentrer, mais arrivés à la gare, il n’y a plus de bus. La seule solution : prendre un taxi. Nous réunissons le peu d’argent que nous avions dans nos poches et demandons à un chauffeur s’il peut, avec ceci, nous ramener à Saint-Priest. Celui-ci accepte. Il est 4 heures quand nous arrivons à Saint-Priest, malgré tout assez fiers de notre opération nocturne.
Je rentre discrètement et me couche, pour entendre mon réveil sonner deux heures après. Je suis épuisé.
Ilan aura eu une grande importance dans ma vie, puisqu’un jour, il est arrivé chez moi avec deux disques de Deep Purple et Bernard Lavilliers. J’écoute et lui demande s’il veut bien me les laisser quelques temps. Après quelques jours, ma décision est prise : je serai Ritchie Blackmore ou rien. Mais nous y reviendrons.
Quelques jours après, encore tout émoustillé de notre escapade nocturne, nous décidons qu’il est temps de mener notre vie à notre manière. Ce sentiment est renforcé par le livre que j’ai dévoré, *Flash ou le grand voyage*, d’un hippie français qui va parcourir l’Inde et vivre des aventures hors du commun. Bref, je veux voyager, je veux de l’inattendu. Nous nous mettons en tête de partir vivre en Israël dans ce fameux kibboutz et envisageons les solutions pour trouver l’argent pour notre voyage. Nous ne nous étions pas posé la question des papiers, en fait, tout nous paraissait très simple. Mon ami me dit que nous allons prendre à nos « vieux » tout ce que nous pouvons, et nous irions vendre nos trouvailles aux puces un dimanche matin. Ensuite, avec l’argent récupéré, nous nous achèterions des mobylettes pour rejoindre l’aéroport. Là, nous vendrions nos mobylettes au premier venu et achèterions les premiers billets d’avion pour Tel Aviv.
Bon, il faut bien le dire, le plan n’était pas très bien ficelé, mais il suffisait à nous faire rêver.
Et pour que le rêve soit encore plus présent, je décide de coucher sur papier la méthode retenue et d’enfouir le tout dans mon cartable d’écolier. Malheureusement, quelques jours après, et je ne sais pourquoi, ma mère décide d’entreprendre une fouille approfondie du dit cartable et découvre le fameux plan. S’ensuit un déferlement de violence : mon père rentre le soir et m’assène des coups dont il avait le secret. Ma mère part voir les voisins pour révéler ce que nous fomentions et décide avec les parents d’Ilan que nous ne devrions plus jamais nous revoir. Ce que nous avons fait jusqu’à ce jour.
Pourquoi ? Sans doute la peur des coups : ils étaient allés très loin  ce jour-là

Lire la suite : Un salaud honorable (cliquez-ici)

Frank Berty
Instagram : @frankbertyoff
In 1978, we moved to a single-family home in Saint-Priest. It marked the beginning of a new chapter for the family, and I got to meet our neighbors, including their son Ilan, who was the same age as me. Ilan was Jewish, and I mention this because it plays a crucial role in what follows. Every year, he would spend time at a kibbutz in Israel and come back with fascinating stories about his vacation.
We’d spend hours discussing everything under the sun. We’d skate through the streets of Lyon, try out cigarettes, and dream about a bright future. Over time, our friendship deepened, and Ilan made it his mission to convert me to Judaism. He even gave me a French-translated version of the Torah.
I would listen to him talk for hours about his kibbutz, describing it as a kind of vacation club where everything was shared and free. He’d say things like, “If you want a TV, you just ask for one, and they give it to you.” The idea of simply getting a TV on request appealed to me, imagining one right there in my room.
In short, I started dreaming of a better life under the Tel Aviv sun, and I kept that idea tucked away in my mind.
We were both rebelling against our parents, eager to break free from their control and thrilled by the idea of pushing boundaries. One summer night, we decided to sneak out and have a night out in Lyon. We waited patiently for our parents to fall asleep, then climbed out of our bedroom windows and found ourselves in the middle of the quiet countryside of Saint-Priest.
We headed for the bus stop that would take us into Lyon.
What followed was a walk through the countryside to get to the bus stop. It was more than just a nighttime stroll; it felt like an initiation, making us feel like we had finally become, or at least believed we had become, independent. The wind blew through our long hair as we reached the bus stop. The last bus had finished its route, but the driver called out to us:
— Where are you kids headed at this hour?
— We’re going downtown, sir.
— Alright, hop in.
I still wonder what went through the bus driver’s mind, taking two 14-year-olds into Lyon in the middle of the night. When we arrived at Avenue Berthelot in Lyon’s 7th district, the driver told us he couldn’t take us any further as he was heading back to the depot. That was fine by us. We got off and decided to head to Perrache station to look for a party on Rue de la République.
But it was 2 a.m., the streets were deserted, and we started to get seriously nervous. Suddenly, as we were crossing the bridge from the 7th district to Perrache station, we spotted two men walking on the opposite sidewalk. They looked at us and then suddenly crossed over to our side.
My friend said, “This is it. We’re dead. We’re about to get mugged.”
The two men came right up to us, and just as I thought my time had come, they calmly walked right past us. That moment of pure fear made us decide to head back home quickly, but when we got to the station, there were no buses left. Our only option was to take a taxi. We pooled what little money we had in our pockets and asked a driver if he could get us back to Saint-Priest with it. He agreed. It was 4 a.m. when we finally made it back, feeling oddly proud of our nighttime adventure.
I snuck back into my room and collapsed, only to hear my alarm ringing two hours later. I was exhausted.
Ilan played a big role in my life. One day, he showed up at my place with two records: Deep Purple and Bernard Lavilliers (A french singer). I listened and asked if I could keep them for a while. After a few days, I’d made up my mind: I was going to be Ritchie Blackmore, or nothing at all. But we’ll come back to that.
A few days after our thrilling night out, still buzzing with excitement, we decided it was time to live life our own way. This feeling was amplified by a book I had devoured, *Flash ou le grand voyage*, about a French hippie who travels through India and lives incredible adventures. In short, I wanted to travel, to experience the unexpected. We came up with a plan to live in Israel on that famous kibbutz and started figuring out how to raise the money for our trip. We hadn’t thought about paperwork or any of the practicalities; it all seemed so simple to us. Ilan suggested we take whatever we could from our parents and sell it at the flea market on a Sunday morning. With the cash, we’d buy mopeds to get to the airport, sell them to the first person we met, and buy plane tickets to Tel Aviv.
Admittedly, it wasn’t a very well-thought-out plan, but it was enough to keep us dreaming.
To make the dream feel even more real, I wrote down our method and hid it in my school bag. Unfortunately, a few days later, for reasons I still don’t know, my mother decided to search my bag thoroughly and found the plan. What followed was a wave of violence: my father came home that evening and gave me a beating like only he knew how. My mother went to the neighbors to tell them what we had been plotting, and together with Ilan’s parents, they decided we should never see each other again. And that’s what we did, right up until today.
Why? Probably out of fear of the beatings; they had gone way too far that day.

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Frank Berty 2024 - 2025