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31 août 1980, nous sommes, en ce dimanche d’été, allé en famille rendre visite à ma Tante Sylvie, qui a récemment acheté un bar à Aix-les-Bains. Sur place, nous retrouvons toute la famille, notamment les 3 sœurs de ma mère. C’est avec beaucoup de plaisir que je découvre l’arrière-boutique de ce commerce, me donnant l’impression d’un privilège accordé aux invités très spéciaux. J’adorais ces grands repas de famille où les quatre sœurs Martin se livraient à leur activité favorite : déblatérer sur les uns et les autres. La tension montait souvent d’un cran quand l’une reprochait avec véhémence telle ou telle remarque. Une des quatre sœurs excellait dans cet exercice, vous l’aurez compris : ma mère. Grande manipulatrice, se pensant plus maligne que les autres, elle prenait un malin plaisir à les emmener dans des discussions dont elle savait pertinemment qu’elles se termineraient inévitablement par une engueulade monumentale.
Ces disputes se terminaient souvent par des bouderies de plusieurs semaines, mais la volonté de savoir ce que l’une avait dit sur l’autre était plus forte et, sous un prétexte fallacieux, il se trouvait toujours une des sœurs pour rappeler son adversaire de la semaine précédente afin de se la remettre dans la poche. Prête pour une nouvelle dispute.
Ce jour-là, alors que le repas s’étire dans l’après-midi chaude de cet été 80, et que nous sommes installés dans la petite cuisine qui jouxte la salle de bar, je n’ai d’yeux que pour la télévision qui trône sur un petit buffet foncé. En direct, mon héros Bernard Hinault va tenter de remporter son premier championnat du monde à Sallanches.
La conversation continue après le repas, et pour une fois, pas de cris, de disputes ou de sarcasmes, l’ambiance est au beau fixe, comme le moral de Bernard Hinault qui écrase ses concurrents à chaque tour de circuit.
Tout se passe trop bien sans doute pour ma mère qui trépigne d’impatience de lancer un sujet qui fâche. Manipulatrice et pleine de vice, alors que j’écoute distraitement, j’entends une phrase de ma mère qui résonnera dans mon cerveau :
« Moi je me demande comment font ces femmes qui trompent leur mari »
Cette phrase anodine qui pourrait paraître banale est à remettre dans un contexte familial où l’adultère est porté à son paroxysme, où chaque sœur le pratique avec une avidité digne d’un chien affamé devant sa gamelle. Les sœurs Martins ont même atteint un degré que je qualifierai de professionnalisme dans ce domaine, prenant même comme amant leur propre beau-frère, notamment Christophe, le mari de Sylvie, qui passera de sœur en sœur. Bien sûr, les 4 sœurs sont au courant des agissements de chacune, ceci faisant d’ailleurs l’objet de racontars sur l’une ou l’autre quand elles se voyaient en petit comité. Mais jamais elles n’avouaient à titre personnel leurs fautes, mettant en avant les tromperies de l’autre.
« Moi je me demande comment font ces femmes qui trompent leur mari »
La phrase est lâchée et un silence de plomb s’installe, tellement puissant qu’il en devient bruyant. Ma mère, visiblement satisfaite de son effet, regarde la petite assemblée, s’imaginant que personne n’est au courant de ses agissements mais que ses sœurs doivent se sentir très mal, ce qui était l’effet escompté.
Et les hommes dans tout ça ? Mon père, n’étant au courant de rien ou plutôt voulant ne rien voir, ne s’intéresse pas à la conversation et finit tranquillement sa tasse de café. Christophe se lève, prétextant avoir des verres à essuyer. Juju lance une blague dont il a le secret mais personne ne rit.
Le retour en voiture vers Lyon sera l’occasion pour ma mère de se vanter de les avoir mis minable et cherchera à obtenir le consentement de mon père.
Pourquoi cette attitude avec ses sœurs, pourquoi chercher à lancer des sujets qui pourraient, qui auraient dû, se retourner contre elle ? Sans doute l’amour de l’interdit, de ce qui est mal, du plaisir de manipuler les autres, sans se rendre compte qu’elle ne dupait personne.
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Frank Berty
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