Le camping

La malédiction des filles Martin

Le camping

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Revenons à l’année 1984. Avant d’aborder cette fameuse journée d’automne où mon père et moi avions couru dans les rues de Lyon à la poursuite de ma mère et de son amant, remontons le temps jusqu’au printemps. Il fait beau, les pâquerettes poussent dans les champs, et mes parents ont des envies de vacances. Ils décident de partir tous les deux, pour la première fois, dans un camping situé au bord de la mer, sans les enfants, sans le chien, juste en tête-à-tête.
C’est une curieuse idée de ma mère, qui a lourdement insisté pour ces vacances. Ils partent donc, avec leur valise, sur l’autoroute A7 en direction de Boulouris, un charmant petit village du Var. Une fois arrivés, ils s’installent dans un bungalow au confort sommaire, et la semaine commence joyeusement. Cependant, quelque chose intrigue rapidement ma mère. Le bungalow voisin, occupé par un couple dont la femme semble lui rappeler quelqu’un. Elle ne cesse de répéter à mon père : « Oh, mais je suis sûre qu’on les connaît de quelque part, ces gens. »
Mon père, quant à lui, ne voit pas du tout où ils auraient pu rencontrer ce couple, dont le monsieur parle avec un fort accent italien. Les heures passent, et ma mère, n’y tenant plus, décide d’aller à la rencontre de leurs voisins. Elle s’avance vers le bungalow voisin et interpelle le couple : « Excusez-moi, il me semble qu’on se connaît. Vous n’êtes pas de Lyon, par hasard ? » Le monsieur, avec son accent italien, lui répond : « Mais si, moi aussi, il me semble que je vous connais. »
Le mystère s’éclaircit : d’après ma mère,  ils s’étaient déjà croisés lors d’une fête au travail de mon père, à l’usine Renault, lors d’un bal. Ma mère éclate de rire et appelle mon père : « Chéri, viens vite, viens voir ! Ce sont des gens qu’on a rencontrés chez Renault, tu te rappelles ? » Mon père, bien entendu, ne se souvient de rien, mais ils sympathisent et passent une semaine merveilleuse avec ce couple.
C’est ici que le machiavélisme de ma mère prend une dimension fantastique. Comment dire… C’était digne d’une médaille d’or aux Jeux Olympiques, du Grand Prix d’Amérique, de la finale de la Coupe du Monde. Tout avait été savamment orchestré. Elle avait tout planifié avec son amant, Carlo, pour se retrouver dans ce camping du sud de la France.
J’ai toujours pensé que l’objectif n’était pas simplement de retrouver son amant pendant une semaine. Non, il ne s’agissait pas d’un banal rendez-vous secret. Amener leurs époux respectifs dans ce camping n’avait rien d’intéressant pour ma mère. C’était un jeu, un défi. Elle aimait braver les interdits, manipuler les gens, se penser plus forte et plus maligne. Elle jouait avec le feu.
De retour à la maison, le couple d’amis fraîchement créé fut immédiatement invité à plusieurs soirées où l’on riait fort et s’amusait beaucoup. Tout semblait pour le mieux. Les invitations alternaient, une fois chez l’un, une fois chez l’autre. Ma mère ne cessait de dire : « Ah, cette Martine, la femme de Carlo, quelle femme intelligente, qu’elle est exceptionnelle ! » Puis, se tournant vers mon père, elle lui demandait innocemment : « Et toi, comment tu trouves Carlo ? »
Ce machiavélisme, propre à ma mère, était aussi propre à toutes les sœurs Martin. Prêcher le faux pour savoir le vrai. Raconter des histoires sur les unes et sur les autres. Essayer de manipuler les gens. Ce qui fera dire à mon père, un jour, cette phrase qui m’avait marqué, c’est la malédiction des filles Martin.
Un dimanche, comme presque tous les dimanches, Carlo et Martine étaient invités à déjeuner chez nous. J’avais prévenu mes parents que je passerais à la radio avec mon nouveau groupe, Vytal, . En effet, je m’étais lancé à fond dans la musique, et ce groupe commençait à rencontrer un certain succès, d’abord au niveau régional, puis à travers toute la France, grâce à un titre, Robot, qui passait régulièrement sur les ondes.
À la fin du repas, très fier de moi, je les ai appelés  et j’ai monté le volume de la radio pour leur faire écouter en direct le morceau que j’avais composé avec mes amis musiciens. Tout le monde écoutait attentivement. Ma mère, qui déteste la musique que je fais et la qualifie souvent de “bruit”, souriait vaguement. Le morceau s’est terminé, et là, Martine, avec un hochement de tête approbateur, dit à ma mère : “Mais dis-moi,, ce n’est pas si mal. Tu m’avais dit que c’était du bruit, je m’attendais à bien pire !”
Ma mère, bien sûr, a immédiatement répliqué : “Mais non, Martine, je n’ai jamais dit que c’était du bruit ! C’est vraiment bien ce qu’ils font, ces jeunes !” Bref, même si la réaction n’était pas celle que j’avais imaginée, j’étais content de leur faire écouter ce morceau. J’avais espéré qu’ils seraient un peu fiers de moi. Parce qu’au fond, je crois que tout ce qu’on fait, c’est pour obtenir une reconnaissance que l’on pense mériter, et qui, peut-être, nous a manqué durant l’enfance.

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Frank Berty
Instagram : @frankbertyoff

Let’s go back to the year 1984. Before diving into that infamous autumn day when my father and I ran through the streets of Lyon chasing after my mother and her lover, let’s rewind to the spring. The weather was lovely, daisies were blooming in the fields, and my parents felt like taking a vacation. For the first time, they decided to leave the kids and the dog behind and head off together on a trip, just the two of them.
It was my mother’s idea, and she insisted heavily on these vacations. So, they packed their bags, got on the A7 highway, and headed toward Boulouris, a charming little village in the Var region. Once there, they settled into a modestly equipped bungalow, and the week began on a cheerful note. However, something soon caught my mother’s attention. The neighboring bungalow was occupied by a couple, and the woman seemed oddly familiar to her. She kept telling my father, “I’m sure we know them from somewhere.”
My father, on the other hand, had no clue where they could have possibly met this couple. The man spoke with a thick Italian accent. As hours passed, my mother couldn’t resist any longer and decided to approach their neighbors. She walked up to their bungalow and said, “Excuse me, but I feel like we’ve met before. Are you by any chance from Lyon?” The man, with his Italian accent, responded, “Yes, I think I know you too.”
The mystery was solved: according to my mother, they had crossed paths before at a work event at my father’s Renault factory, during a dance. My mother burst out laughing and called my father over, “Honey, come quickly, come see! These are people we met at Renault, remember?” My father, of course, had no recollection whatsoever, but they hit it off and ended up spending a wonderful week with the couple.
This is where my mother’s scheming genius took a fantastic turn. How can I put it? It was worthy of an Olympic gold medal, the Grand Prix d’Amérique, or a World Cup final. Everything had been meticulously planned. She had orchestrated it all with her lover, Carlo, to meet up at this campsite in the south of France.
I’ve always believed the goal wasn’t just to spend a week with her lover. No, it wasn’t a simple secret rendezvous. Bringing their respective spouses to the campsite was part of my mother’s grand plan. It was a game, a challenge. She loved defying rules, manipulating people, and proving herself cleverer and more cunning. She thrived on playing with fire.
Back home, the newly forged friendship blossomed. The couple was promptly invited to several gatherings where laughter and good times were in abundance. Invitations alternated—one time at their place, the next at ours. My mother couldn’t stop praising Martine, Carlo’s wife: “Oh, Martine is such an intelligent and exceptional woman!” Then, turning to my father, she’d innocently ask, “And what do you think of Carlo?”
This knack for manipulation was characteristic not only of my mother but of all the Martin sisters. They excelled at sowing seeds of doubt, telling stories about one another, and trying to control people. This led my father to say something that stuck with me: “It’s the Martin sisters’ curse.”
One Sunday, as was almost tradition, Carlo and Martine were invited over for lunch. I had told my parents earlier that I’d be on the radio with my new band, Vytal. I had fully immersed myself in music, and our band was gaining traction, first regionally and then nationally, thanks to a track called Robot, which was getting regular airplay.
After lunch, feeling proud, I turned up the volume on the radio to make them listen to the track I had composed with my fellow bandmates. Everyone listened attentively. My mother, who often dismissed my music as “noise,” gave a faint smile. When the track ended, Martine, nodding approvingly, turned to my mother and said, “Well, it’s not bad at all. You told me it was just noise—I expected much worse!”
Naturally, my mother immediately denied it: “Oh no, Martine, I never said it was noise! What they’re doing is really good, these young people!” Although the reaction wasn’t quite what I had imagined, I was glad to have shared the moment. Deep down, I think we all do things hoping for some kind of recognition that we believe we deserve, perhaps because we felt it was missing in our childhood.
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Frank Berty 2024 - 2025