A stairway to heaven

LA MALEDICTION DES FILLES MARTIN

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Les années 70 sont pour beaucoup de gens de ma génération des années dorées. Un vent de liberté souffle sur la France, et la vie paraît douce quand on la regarde avec les yeux de ses souvenirs. Pourtant, derrière cette liberté se révèlent toutes les frustrations des femmes et des hommes qui, coincés dans une société sclérosée par la morale des années 50 et 60, vont croire découvrir la liberté post-68. Et vive l’arrivée du porno que les papas et les mamans vont voir tranquillement le samedi soir au cinéma, présentant pourtant les femmes comme des objets sans cervelle. Et vive le travail pour les femmes, qui mal payées, sont réduites aux tâches subalternes dans les usines. Mais c’est la liberté, ma bonne dame ! Et vive la cigarette qu’on fume dans le train, les avions, les entreprises, au cinéma. La voiture va se démocratiser, et la contrepartie est que le nombre de morts sur les routes va exploser. Les ratonnades sont nombreuses, mais pas grand monde ne s’en offusque. C’est le temps des ennemis publics, des braqueurs de banque, bref, la société est en ébullition. La fin de la guerre du Vietnam va aussi laisser penser que désormais l’avenir est radieux.
Hélas, la première crise du pétrole va assombrir le moral des Français, et le chômage va gentiment s’installer dans les foyers.
Ma mère ira d’usine en usine, d’un laboratoire pharmaceutique où elle est employée à la production, à un laboratoire photo. D’un grossiste pour coiffeurs à un cabinet médical. À chaque fois cela se termine mal, elle sera même licenciée. Mais les explications grandiloquentes de ma mère, qui hurle à l’injustice, ne trouvèrent que mon père pour les accepter comme une vérité. Dans la famille, personne n’est dupe.
C’est aussi l’époque où elle va passer son permis de conduire, ce qui va aussi être le début de la fin. Les leçons sont prises avec mon oncle Christophe, que ma tante a épousé à la fin des années 60 et qui est un pied-noir venu d’Algérie, et qui a ouvert sa propre auto-école. Christophe est un juif arabe ayant eu trois enfants d’un précédent mariage et qui avait échappé à un attentat à Alger, ce qui en faisait un héros pour les sœurs Martin. Mais il n’avait pas seulement ce statut de héros, il était aussi musclé, beau parleur et avait toujours un coup d’avance sur les autres. Ainsi, il avait eu la première télévision couleur de la famille, ce qui forçait le respect de la famille.
On disait que c’était « un homme à femmes », comme si cela était une qualité, et il eut vite fait de faire tourner la tête de ma mère. Les années 70 vont s’écouler entre les crises entre ma mère et Christophe, les allers-retours à son domicile quand mon père n’est pas là. Bien entendu, toute la famille le sait, mais personne n’ose crever l’abcès.
Nous passons nos vacances d’ailleurs avec Christophe et ma tante dans le var la plupart du temps, ma mère insistant lourdement pour que les vacances soient passées avec eux. Le problème est qu’elle finissait toujours par se disputer avec son amant, et les ruptures temporaires influençaient largement l’humeur des vacances. Souvent, nous partions avant la fin des vacances dans une « engueulade » monstre entre ma mère et sa soeur sur un sujet futile, mais qui en vérité servait d’exutoire aux deux sœurs qui ne pouvaient pas vider leur sac réellement.
À chaque fois, c’était fini, c’est la dernière fois qu’on part avec eux, et les bouderies ne résistaient pas longtemps à l’appel de Christophe, qui sifflait la fin de la récréation et retrouvait rapidement ma mère… et d’autres, ce qui rendait ma mère folle de jalousie.
Jusque-là, rien de bien méchant, mais la rupture définitive avec Christophe va entraîner un déchaînement de ma mère, qui va multiplier les amants comme Jésus les petits pains.

Lire la suite : Où la malédiction s’invite et rien ne semble pouvoir l’arrêter. (Cliquez-ici)

Frank Berty
Instagram : @frankbertyoff
The 70s are, for many people of my generation, the golden years. A wave of freedom sweeps across France, and life feels sweet when we look back with nostalgic eyes. Yet behind this freedom lies the frustration of men and women, trapped in a society still stiffened by the morals of the 50s and 60s, who think they’ve found liberty post-’68. And here comes the rise of adult cinema, where moms and dads casually go to the movies on Saturday nights, watching films that still portray women as mindless objects. And work for women? Well, they’re underpaid and relegated to subordinate roles in factories. But hey, it’s freedom, isn’t it?
Smoking is everywhere – in trains, planes, offices, even theaters. Cars are becoming accessible, but with that comes a surge in road fatalities. Racial violence is common, but few seem bothered by it. It’s the era of public enemies, bank robbers – society is simmering. The end of the Vietnam War brings hope for a brighter future.
Then, the first oil crisis hits, dampening the French spirit, and unemployment slowly settles into households. My mother drifts from factory to factory, from a pharmaceutical lab where she works in production, to a photo lab, to a hair products distributor, and eventually a doctor’s office. Each job ends poorly, and she even gets fired once for stealing equipment, a story she dramatically proclaims an injustice – but only my father buys it. In the family, no one is fooled.
This is also the time when my mother decides to get her driver’s license. Lessons are taken with my uncle Christophe, my aunt’s husband, a former Algerian pied-noir who opened his own driving school. Christophe, an Arab Jew with three children from a previous marriage, survived an attack in Algiers, which made him a hero in the eyes of the Martin sisters. Beyond his hero status, he was muscular, charismatic, and always one step ahead. He was the first in the family to own a color TV, earning him even more respect.
People would say he was a “ladies’ man,” as though it were a virtue, and he quickly captivated my mother. The 70s pass in a cycle of crises between my mother and Christophe, with frequent visits to his place whenever my father was away. Naturally, the whole family knew, but no one dared to confront it.
Most of our vacations were spent with Christophe and my aunt in Cogolin, with my mother insisting that we go with them. But she would inevitably clash with her lover, and their temporary breakups often overshadowed the vacation. Often, we’d leave early after a massive row between my mother and sister over some trivial matter, serving as an outlet for grievances that could never truly be aired.
Every time, it was “never again,” but the sulking would fade once Christophe ended the feud, reuniting with my mother… and others, driving her wild with jealousy. For a while, it was harmless enough, but the final break with Christophe led my mother to a string of lovers as numerous as loaves in a miracle.
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Frank Berty 2024 - 2025